La jeune femme fit un geste pour attraper sa tasse de café. Un soupir rapide fut tout ce qui s'échappa de ses lèvres en se rendant compte que la tasse était vide ; c'était la troisième. Elle n'avait pas vraiment le temps de s'en refaire une autre, alors elle redirigea son attention sur ses papiers.

Il n'y avait personne d'autre pour le faire. Ordinairement, ce genre de tâche ingrate était une de celles qu'elle reléguait à un petit sergent où à une enseigne qui se baladait. 'Tenez, Hart, ça vous évitera de tenir le mur, au travail.'. Sauf que Chen Hart avait été la troisième personne sur sa liste. La liste des victimes de cet attentat stupide. Pendant que les survivants se retrouvaient, s'entraidaient et se remettaient du choc, Rico Brzenska tentait tant bien que mal de tenir les comptes. Elle avait circulé pendant un moment dans les salles après que les événements se soient tassés.

La bataille n'avait pas duré longtemps, s'il était même possible de l'appeler une bataille. Ça avait été un massacre, rapide, expéditif et bien mené. La Garnison et la Brigade Spéciale s'était retrouvés, au débotté, face à des assaillants déterminés et efficaces. Déterminés et efficaces, c'était le mot qu'elle avait employé dans son plus récent rapport. C'était stupide, complètement stupide, pensait-elle. Son esprit tournait en rond, noyé dans sa furie, baigné dans son envie de meurtre. Qui tuerait-elle ? Contre qui allait-elle se venger, lui demandait sa raison.

Fermant les yeux, elle tenta de se concentrer de nouveau. Personne. Il n'y avait pas de noms, pas de visages. Simplement le sombre résultat et maintenant, les listes de noms, survivants et morts, qui s'étalaient en lignes noires sur ses papiers. La bataille avait été tellement courte, et Rico avait d’incroyablement sentiment qu'elle n'avait même jamais eu lieu. Si peu de temps, tellement de morts. Et aucun Titan ? Son esprit s'en retrouvait arrêté net par la surprise alors qu'elle y repensait.

Stupide, tellement stupide, de choisir de s’entre tuer alors que les titans attendaient sagement à la porte.

Elle reposa les yeux sur le décompte des effectifs de la matinée précédente. Sa concentration était un lointain souvenir alors qu'une sourde rage restait bloquée dans sa gorge. Les survivants de la bataille de Trost, nombre d'entre eux étaient morts. D'autres encore, et bien elle les avait vus, amas de chair et de sang, geignant et gémissant alors qu'elle se réveillait tout juste en ne sachant pas ce qui s'était passé. Son diagnostic avait été rapide et elle en était quitte pour quelques côtes en miettes et mal de crane qu'elle garderait probablement quelques jours. Depuis, elle était retournée dans son bureau afin de rassembler ses esprits, après inspecté ses unités de fond en comble pendant le reste de la nuit. Il y avait déjà plusieurs heures de cela. Tout avait peut-être changé maintenant, et le bilan avait du s'alourdir.

A qui devrait-elle donner son rapport ? Qui restait-il au dessus d'elle ? La lampe à côté d'elle illuminait ses papiers d'une lueur orangée immuable. Quelle heure était-il ?

Rico leva les yeux vers la fenêtre sur le côté de la pièce ; le ciel s'éclaircissait. Le soleil ne rougissait pas encore le bleu pâle qui s'étendait au dessus des toits finement gelés. En temps normal, elle en aurait probablement déduit l'heure, ce qui n'était pas bien dur. Mais elle ne se surprit même pas à garder les yeux fixés sur ce petit lambeau de ciel, en ne pensait à rien. Ses yeux brûlaient, ses côtes lui envoyait de douloureux signaux à chaque respiration, et sa tête ne faisait pas mieux.

Le son de quelqu'un toquant à la porte la fit sursauter. La ramenant sur terre. Réfléchir lui paraissait un trop grand effort alors qu'elle se leva plus lentement que d'habitude et alla ouvrir.

En face d'elle se tenait quelqu'un, un homme. Elle le connaissait comme elle connaissait la plupart de ses subordonnés, et il n'y avait que peu de personnes à porter les caractéristiques qui étaient les siennes. Ses cheveux, ses yeux. Oui elle le connaissait, mais ne parvint pas, pendant quelques secondes, à placer un nom sur ce visage dont le bas était masqué par un foulard.

Un foulard....

«  Moreau ? »

Sa surprise n'en était pas vraiment une, enfin, se l'expliquer lui prendrait plus d'énergie qu'elle ne le désirait. Elle était contente de le voir, contente qu'il ne soit pas mort. Son professionnalisme en était un peu entaché. Mais à ce niveau là, elle était prête à passer sur ce détail. Elle espérait que sa fébrilité et sa fatigue ne détruisent pas le respect et la barrière du grade entre elle et son subordonné.